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Derrière les portes de la détention : des visites de terrain révèlent la réalité des locaux de garde à vue au Liban, entre surpopulation, dégradation et besoin d’une intervention urgente

Les cellules de détention et les centres de garde à vue au Liban reflètent une image complexe de crises accumulées affectant le système de justice pénale, et touchant en profondeur aux droits humains fondamentaux. La détention provisoire, qui est censée être une mesure exceptionnelle et temporaire, se transforme dans de nombreux cas en une réalité de longue durée, au cours de laquelle la dignité des personnes détenues est mise à l’épreuve, tout comme la capacité de l’État à respecter ses obligations juridiques et humanitaires.

Dans ce contexte, la Commission nationale des droits de l’homme, incluant le Comité pour la prévention de la torture, a mené une série de visites de terrain dans plusieurs postes des Forces de sécurité intérieure et lieux de détention, répartis dans différentes régions, au cours de l’année 2025. Ces visites s’inscrivaient dans le cadre d’un projet soutenu par le Programme des Nations Unies pour le développement, visant à surveiller les conditions de détention, à fournir des consultations juridiques aux personnes détenues, et à contribuer à la réduction de la surpopulation carcérale par l’activation des mécanismes juridiques disponibles, notamment les demandes de mise en liberté pour les personnes remplissant les conditions légales.

Les visites de terrain effectuées par la Commission nationale des droits de l’homme, incluant le Comité pour la prévention de la torture, ont concerné plusieurs postes et cellules de détention relevant des Forces de sécurité intérieure dans différentes zones. Elles ont couvert les centres suivants : le poste de Halba, la brigade judiciaire de Halba, le poste de Beino, le poste de Qobayat, la brigade de Chiyah, le poste de Brummana, ainsi que les centres de détention de Sofar et de Hammana réservés aux mineurs. Le suivi a également inclus d’autres centres lors de visites ultérieures, dans le cadre d’une approche progressive visant à couvrir le plus grand nombre possible de lieux de détention, en fonction des priorités de suivi et des besoins humanitaires et juridiques.

Une méthodologie fondée sur l’inspection et l’intervention

Ces visites se sont distinguées par une approche duale combinant le suivi direct sur le terrain et l’intervention juridique pratique. Elles ne se sont pas limitées à la documentation des conditions matérielles des cellules, en termes d’espace, de propreté, de ventilation et de capacité d’accueil, mais ont également inclus des entretiens individuels avec les personnes détenues, l’examen des registres de détention, l’analyse des dossiers judiciaires, et la vérification de la légalité et de la durée de la détention.

Lorsque cela était possible, des demandes de mise en liberté ont été préparées, des consultations juridiques préliminaires ont été fournies, et les procédures judiciaires ont été expliquées aux personnes détenues, dont beaucoup manquent de connaissances juridiques ou des moyens financiers nécessaires pour mandater des avocats. Cette approche a constitué un outil concret pour atténuer la surpopulation, tout en renforçant la confiance des détenus dans le parcours judiciaire.

Des lieux de détention sous pression : la surpopulation comme dénominateur commun

Les différentes visites ont montré que la surpopulation constitue le dénominateur commun le plus marquant de la majorité des lieux de détention inspectés. Dans plusieurs centres, le nombre de personnes détenues dépassait la capacité réelle d’accueil, dans des espaces exigus ne respectant pas les normes humanitaires minimales, obligeant les détenus à dormir à même le sol ou à se relayer pour s’asseoir et s’allonger.

Cette situation est aggravée par les fortes chaleurs estivales et par l’insuffisance de la ventilation naturelle ou artificielle, ce qui a des répercussions négatives sur la santé physique et mentale des personnes détenues. Dans certains centres, des solutions temporaires ont été mises en place, telles que l’installation de climatiseurs mobiles ou de ventilateurs, mais ces mesures restent partielles et ne traitent pas les causes structurelles du problème.

Des infrastructures vieillissantes et des besoins essentiels non satisfaits

Outre la surpopulation, les visites ont révélé une dégradation notable des infrastructures de plusieurs lieux de détention. Murs fissurés, sols détériorés, humidité, et absence d’entretien régulier constituent un tableau récurrent. Dans certains centres, l’absence d’eau chaude ou la faiblesse des réseaux d’assainissement ont également été constatées, affectant directement les conditions d’hygiène et de santé publique, en particulier dans les régions froides ou durant la saison hivernale.

Bien que certaines améliorations techniques aient été introduites dans plusieurs postes, comme l’installation de systèmes d’énergie solaire pour assurer l’électricité, ces avancées, aussi importantes soient-elles, ne compensent pas le besoin d’une réhabilitation globale des lieux de détention, ni l’absence d’une politique nationale claire de mise à niveau des espaces de privation de liberté.

Les agents de sécurité entre pression et engagement

L’évaluation n’a pas porté uniquement sur la situation des personnes détenues, mais également sur celle des agents de sécurité travaillant dans ces centres. Les échanges ont mis en évidence une pénurie manifeste d’effectifs au regard de la charge de travail qui leur incombe, en particulier dans les postes couvrant de vastes zones géographiques ou des régions à forte densité de population.

Malgré cette pression, plusieurs chefs de poste et agents ont fait preuve d’une coopération notable avec les équipes de visite et d’une compréhension de l’importance du rôle de la Commission nationale des droits de l’homme. Beaucoup ont exprimé leur conviction que l’amélioration des conditions de détention ne sert pas uniquement l’intérêt des détenus, mais contribue également à alléger les contraintes quotidiennes pesant sur les agents et à promouvoir un environnement de travail plus humain et plus professionnel.

La détention provisoire entre le droit et la pratique

Sur le plan juridique, l’examen des dossiers a révélé d’importantes disparités entre les situations. Alors que certaines personnes étaient détenues depuis de courtes périodes et ne remplissaient pas encore les conditions de mise en liberté, d’autres dossiers faisaient apparaître des cas de détention prolongée, de personnes privées de représentation juridique, ou encore de détenus ignorant totalement leur situation judiciaire.

Dans ce contexte, l’intervention juridique a joué un rôle central, que ce soit par la préparation de demandes de mise en liberté, le dépôt de recours contre d’anciens jugements rendus par défaut, ou même l’explication des droits et procédures les plus élémentaires aux personnes détenues. Des situations humanitaires particulières ont également été relevées, concernant des détenus vivant dans une extrême précarité ou dans des conditions sociales fragiles, mettant en lumière l’interdépendance profonde entre justice pénale et justice sociale.

L’impact de l’intervention : de petits pas à l’effet tangible

Malgré des moyens limités, les visites ont démontré que l’intervention juridique directe peut produire des effets concrets. La préparation d’une demande de mise en liberté ou la réouverture d’un dossier négligé ne modifie pas seulement le sort d’un individu, mais contribue aussi à réduire la pression au sein des lieux de détention et à réaffirmer que le droit demeure une voie possible, même dans les contextes les plus fragiles.

Par ailleurs, la visite en elle-même, l’écoute des personnes détenues et l’explication de leurs droits revêtent une dimension symbolique importante, réhabilitant l’idée d’un contrôle indépendant et rappelant que les lieux de détention ne sont pas des espaces soustraits à la reddition de comptes.

Des conclusions qui dépassent les murs

Ces visites montrent que la crise des lieux de détention au Liban n’est ni locale ni conjoncturelle, mais constitue l’expression d’un dysfonctionnement structurel appelant une approche globale. La surpopulation, la dégradation des infrastructures, la lenteur des procédures judiciaires et le manque de ressources humaines sont des éléments étroitement liés qui ne peuvent être traités indépendamment d’une réforme plus large du système de justice pénale.

Dans cette perspective, la Commission nationale des droits de l’homme, incluant le Comité pour la prévention de la torture, affirme que la poursuite des visites de terrain et le renforcement de la coopération avec les Forces de sécurité intérieure et l’autorité judiciaire constituent des leviers essentiels pour améliorer les conditions de détention. Toutefois, une solution durable demeure conditionnée à une volonté politique claire, à un investissement réel dans les infrastructures, et à l’activation de mesures alternatives à la détention provisoire, garantissant le respect de la dignité humaine, de l’État de droit, et du droit à un procès équitable dans un délai raisonnable.

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تعمل الهيئة الوطنية لحقوق الإنسان المتضمنة لجنة الوقاية من التعذيب، على حماية حقوق الإنسان وتعزيزها في لبنان وفق المعايير الواردة في الدستور اللّبناني والإعلان العالمي لحقوق الإنسان والاتفاقيات والمعاهدات الدولية والقوانين اللّبنانية المتفقة مع هذه المعايير. وهي مؤسسة وطنية مستقلة منشأة بموجب القانون 62/ 2016، سنداً لقرار الجمعية العامة للامم المتحدة (مبادئ باريس) التي ترعى آليات إنشاء وعمل المؤسسات الوطنية لحقوق الإنسان. كما تتضمن آلية وقائية وطنية للتعذيب (لجنة الوقاية من التعذيب) عملاً بأحكام البروتوكول الاختياري لاتفاقية مناهضة التعذيب وغيره من ضروب المعاملة أو العقوبة القاسية او اللاانسانية او المهينة الذي انضم اليه لبنان بموجب القانون رقم 12/ 2008.